De l’Amérique latine à l’Asie, l’ONG internationale SOS Villages d’Enfants a étouffé depuis les années 1980 de nombreuses affaires de violences sexuelles et de corruption, révèle un rapport sans appel publié mardi.
Un rapport indépendant publié mardi révèle de nombreux cas de violences sexuelles et de corruption au sein de l’ONG internationale SOS Villages d’Enfants à travers le monde. Des faits survenus principalement entre les années 2000 et 2020 – bien que certains remontent à la fin des années 1980 – et qui ont régulièrement été dissimulés.
Dans un entretien, sa directrice générale Ingrid Johansen a évoqué un document « difficile à lire pour notre personnel » mais témoignant d’une volonté de « transparence poussée ». À son arrivée en 2021 à la tête de l’organisation, la responsable a entrepris de « réparer les erreurs du passé ». Dans cette démarche « d’introspection », un audit indépendant a été confié à une équipe dirigée par Willy Mutunga, un ancien président de la Cour suprême du Kenya. Objectif : faire la lumière sur une série de cas de maltraitance apparus au sein de la structure.
Fondée en 1949 en Autriche afin de venir en aide aux orphelins et enfants ne bénéficiant pas d’une prise en charge adéquate par leur famille, l’ONG SOS Villages d’Enfants accompagnait en 2022 2,5 millions de mineurs et leurs proches dans 137 pays et territoires, et se présente comme « la plus grande organisation mondiale » de ce type.
La commission d’enquête composée de dix membres a visité une dizaine de pays, consulté des milliers de documents d’archives et mené 188 entretiens avec des victimes, d’anciens responsables et des encadrants actuels. Au fil d’un rapport de 262 pages, il en ressort une liste accablante.
Viols, grossesses et avortements forcés
Le rapport fait notamment état d' »allégations graves d’abus sexuels et physiques sur des enfants » signalées « dans plusieurs organisations membres » en Afrique, en Asie et en Amérique centrale.
« De nombreux cas de grossesses d’enfants » résultant tantôt de relations sexuelles entre les jeunes pris en charge, mais aussi de viols, ont été documentés, des mineures ayant subi des pressions pour mettre fin à leur grossesse, voire subi des « avortements forcés » sans que le « consentement des familles soit établi ».
En Syrie, deux membres du personnel ont été licenciés en 2015 et 2016 « en raison d’abus physiques sur des enfants et des jeunes », sans que les institutions du pays en soient informées, un responsable « de haut niveau » de l’organisation en Syrie qualifiant les abus physiques et sexuels de « problème interne ». Dans ce même pays, le rapport évoque des « abus sexuels commis par une personnalité de haut niveau », ainsi que le cas d’un membre du personnel réembauché après avoir été « licencié pour des abus physiques sur des enfants ».
Au Népal, un généreux donateur a été accueilli dans un centre, « à l’encontre du règlement », et a commis des agressions sexuelles sur des enfants entre 2010 et 2014. L’un d’entre eux a même été envoyé en Autriche pour lui rendre visite.
Des scandales ont été passés sous silence, les lanceurs d’alertes intimidés ou licenciés, des preuves détruites et les autorités tenues dans l’ignorance. « D’anciens membres du personnel supérieur et des responsables étaient au courant des abus, mais n’ont pas pris les mesures appropriées, notamment l’ouverture d’enquêtes ou le soutien aux victimes, et ont parfois cherché à dissimuler les incidents signalés », écrivent les enquêteurs. Au Panama, où la commission relève une « culture de la peur », une victime a ainsi été contrainte de se rétracter avant d’être placée à l’isolement puis de devoir quitter les lieux.
De manière générale, le rapport déplore « une volonté de protéger la réputation de l’organisation » au détriment des intérêts de l’enfant.
Enfants arrachés à leur famille
En Syrie, SOS Villages d’Enfants, l’une des rares ONG restées sur place durant la guerre, a reçu à partir de 2015 des enfants séparés de force de leur famille appartenant à l’opposition au régime de Bachar al-Assad*. « Ils sont aujourd’hui réunis avec leurs proches et aucun d’entre eux ne fait plus partie de nos programmes »*, affirme Mme Johansen.
Plus récemment, l’antenne russe de l’ONG a été suspendue après la révélation dans la presse d’accusations de prise en charge d’enfants ukrainiens probablement « déportés » par Moscou. « Comme il s’agit d’une grave allégation, la mesure restera en place jusqu’à ce que nous soyons sûrs à 100% que tout est en ordre », souligne la directrice.
Corruption et fraudes
Au-delà des cas de maltraitance, le document détaille un « nombre significatif » de malversations, d’abus de pouvoir, de conflits d’intérêts, de corruption, de blanchiment d’argent et d’irrégularités dans les passations de marchés portant parfois sur « des millions de dollars », le tout « impliquant des individus de haut niveau ».
SOS Villages d’Enfants affiche sa volonté de tout remettre à plat au niveau global : un poste de défenseur des droits a été créé, plus de la moitié des membres de la direction ont été remplacés et les centres d’accueil ont été renforcés. Mais « malgré de nombreuses initiatives de réformes, la transformation n’a pas été totalement mise en place », déplore le rapport, certaines « normes de l’ancienne structure entravant le travail de la nouvelle direction ».